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17 mai 2021

Le livre italien en Roumanie

Auteur:
Smaranda Bratu Elian, traductrice et directrice de la collection « Biblioteca Italiana »

Jusqu’à la fin du XVIIIème siècle, la Roumanie n’avait été en contact avec la culture italienne que de façon sporadique et marginale. Si le XIXème siècle voit les états roumains se tourner volontairement vers la culture occidentale, c’est seulement au début du XXème siècle que les relations avec l’Italie prennent une dimension significative. Plusieurs facteurs contribuent à diffuser la culture italienne auprès d’un public assidu, curieux et toujours plus nombreux : la mise en place de chaires d’études italiennes dans les universités les plus importantes du pays, la présence de lecteurs italiens de grande culture (comme Ramiro Ortiz, qui a créé la chaire d’études italiennes de Bucarest, la revue « Rome », et ouvert le premier Institut Culturel Italien en Roumanie), et enfin l’introduction de l’italien comme langue étrangère dans les lycées et collèges roumains (grâce aux relations politiques étroites entre l’Italie et la Roumanie dans l’entre-deux-guerres). C’est à ce moment-là que paraissent en roumain d’excellentes traductions de grandes œuvres classiques (la Divine Comédie, publiée au début du XXème siècle et traduite par le poète roumain George Coșbuc dans le respect de la métrique de Dante, suivie peu de temps après par une autre excellente traduction en prose de l’italianiste Alexandru Marcu), ainsi que de nombreuses traductions d’auteurs contemporains comme Carducci, d’Annunzio, Pascoli, Pirandello, Deledda, Papini, Bontempelli, Ungaretti (principalement chez l’éditeur Alcalay, de Bucarest). 

Après la Seconde Guerre mondiale, le nouveau régime communiste et la censure qu’il met en place ont un impact paradoxalement positif sur la littérature italienne. La politique culturelle, qui se méfie des messages véhiculés par les auteurs contemporains occidentaux, encourage alors la traduction et la publication des grands classiques ; les intellectuels, ne pouvant pas s’exprimer en tant qu’auteurs ou professeurs universitaires, se consacrent alors à plein temps à la traduction et à l’édition, avec sérieux et professionnalisme. Grâce à l’Institut Culturel Italien, nous disposons d’une première base de données sur cette période : sur l’initiative d’un jeune Vito Grasso, l’Institut publie en 1976 dans sa revue mensuelle « Notizie culturali italiane », un inventaire presque complet des livres italiens traduits en roumain entre 1945 et 1975. Il en résulte une liste impressionnante : de nombreux livres d’Art (publiés en majorité par la maison d’édition Meridiane), très peu d’ouvrages de Philosophie (mais parmi ceux-ci, en plus de Gramsci, Benedetto Croce et la Scienza Nuova de Vico), et énormément de littérature. Grâce à d’éminents italianistes comme Eta Boeriu, Nina Façon, Alexandru Balaci, Stefan Crudu ou C.D. Zeletin, la culture roumaine s’enrichit des œuvres de Dante, Pétrarque, Boccace, Machiavel, Castiglione, Michel-Ange, Le Tasse, Goldoni, Gozzi, Foscolo, Manzoni, Leopardi, Verga, etc. – pour ne citer que les plus importants. Accompagnées d’excellents appareils de notes, ces éditions incluent souvent des préfaces qui ont pour but de « corriger » idéologiquement la pensée des auteurs. Les raisons de cette abondance d’excellentes traductions sont multiples : tout d’abord, on se doit de rappeler que la censure de l’époque était moins suspicieuse envers les auteurs anciens ; ensuite, le public, n’ayant pas accès aux publications occidentales contemporaines était avide de ces classiques, qui faisaient l’objet de ferventes discussions dans les cercles privés et les universités ; enfin, l’édition bénéficiait de fonds publics et on imprimait en quantités impensables aujourd’hui. Il faut aussi rappeler le rôle crucial joué par une génération d’éditeurs faisant preuve d’un grand professionnalisme, et par une maison d’édition de Bucarest spécialisée dans la littérature internationale (qui aurait eu plusieurs noms : ESPLA, ELU, Univers). C’est grâce à l’intelligence, à la culture et à l’habileté de ces éditeurs qu’à partir des années 70, en dépit de la censure, on publie en Roumanie non seulement des classiques mais aussi le meilleur de la littérature italienne du XXème siècle : la grande poésie, les romans de Svevo ou Sciascia et Eco, mais aussi des essais, des ouvrages d’histoire, de cinéma et de sciences.

Le bouleversement politique de 1989 donne lieu à une reconfiguration du monde éditorial : de nombreuses maisons d’édition sont créées et leurs catalogues s’ouvrent à tous les genres et sujets, surtout ceux qui étaient interdits auparavant. Certaines maisons comme Humanitas, ALL, RAO, Nemira, Curtea Veche Publishing de Bucarest ou Polirom de Iași se distinguent particulièrement. Le secteur de l’édition du nouveau régime démocratique est caractérisé par une nouvelle approche économique : comme les financements d’état ont disparu, les maisons d’édition, désormais privées, agissent avec prudence, réduisent les tirages et misent sur les livres qui ont le plus de chances de se vendre. Pendant une dizaine d’années, on publie surtout de nouvelles traductions d’œuvres d’écrivains très connus du XXème siècle comme Pirandello, Pavese, Calvino, Buzzati, Primo Levi, Moravia, Dacia Maraini, etc. On s’intéresse alors beaucoup moins aux classiques et aux auteurs plus récents.

Au cours des vingt dernières années, on a poursuivi la traduction des auteurs célèbres du XXème siècle comme Calvino, Buzzati, Pasolini, Eco, Giuseppe Berto, etc., mais on remarque d’une part un regain d’intérêt pour les grands classiques, et d’autre part une volonté d’actualisation, d’ouverture à la modernité, d’attention envers les nouveaux livres, les nouveaux auteurs et les prix littéraires les plus importants.

La première tendance s’exprime au travers d’un projet unique dans le paysage éditorial roumain, encouragé et soutenu depuis sa création en 2005 par l’Institut Culturel Italien de Bucarest et le Ministère des affaires étrangères italien, et récompensé en 2008 par le Ministère italien des biens et activités culturelles : la collection bilingue de classiques « Biblioteca Italiana » de la maison d’édition Humanitas (https://humanitas.ro/humanitas/colectii/biblioteca-italian%C4%83), au sein de laquelle ont été publiés pas moins de 44 volumes de grands auteurs anciens et du XXème siècle, traduits pour la première fois en roumain : on y retrouve les œuvres de Boccace, Jacopone da Todi, Leon Battista Alberti, Pietro Bembo, Machiavel,  Le Guichardin, Galilée, Le Tasse, Foscolo, Goldoni, Beccaria, Giordano Bruno et Michel-Ange ; d’importantes anthologies consacrées au sonnet italien, aux nouvelles et à la comédie de la Renaissance ; des œuvres de poètes renommés du XXème siècle comme Montale, Saba, Pavese, Mario Luzi, Sandro Penna ou Giorgio Caproni, et une anthologie de poètes contemporains. Toutes les œuvres citées sont en édition bilingue, alors que la fiction d’auteurs comme Sciascia, Savinio, Calvino ou Pirandello – ajoutée plus récemment au catalogue – n’est publiée qu’en roumain. Cette importante initiative éditoriale a le mérite d’avoir contribué à former un groupe de jeunes traducteurs universitaires qui sont aujourd’hui de vrais spécialistes : Oana Boșca-Mălin, Corina Anton, Miruna Bulumete, Aurora Firța-Marin et Gabriel Purghel. 

Pour avoir une idée de l’effort d’actualisation et d’ouverture à la modernité qui a été fourni, nous disposons d’un outil récent : la base de données en ligne ITALIANISTICA TRADUZIONI (http://www.orizzonticulturali.it/it_database3_Italianistica-traduzioni.html), projet conçu et réalisé par l’italianiste de Timișoara Afrodita Carmen Cionchin en collaboration avec le département d’études italiennes de l’Université de Bucarest, et publié dans le mensuel bilingue en ligne « Orizzonti culturali italo-romeni », que dirige Madame Cionchin. Cette base de données a pour but de répertorier tous les titres d’ouvrages de n’importe quelle catégorie, écrits par des auteurs italiens et publiés en roumain. Le projet, qui est en cours de réalisation, couvre aujourd’hui les données des quatre dernières années pour un total de près de 400 titres. Sa consultation permet d’extraire des informations précises sur les dernières tendances : les genres qui prédominent, les maisons d’édition roumaines qui diffusent aujourd’hui les livres italiens ou les traducteurs les plus actifs dans la traduction de textes contemporains. Parmi les données les plus marquantes on peut citer l’émergence d’un genre souvent sous-estimé mais important : la littérature de jeunesse (avec les collections consacrées à Gianni Rodari et à Maria Montessori, Mitologia per bambini, I miei piccoli eroi, ou les titres constamment réédités de Collodi, De Amicis, Salgari, Vamba), catégorie où les maisons d’édition les plus importantes sont Humanitas jeunesse, Litera, Arthur et Trei. Quant aux traducteurs, il faut nommer Vlad Russo et Marina Loghin. Il est aussi très positif de noter la présence dans les prestigieuses maisons d’édition Humanitas et Polirom, d’auteurs italiens dans les collections de Sciences (Carlo Rovelli, Luca Perri, Luca Novelli) ; de Philosophie ou d’Histoire de la Philosophie (Giorgio Agamben, Gianni Vattimo, Giovanni Reale). Mais le roman reste le genre préféré du public et donc aussi des maisons d’édition. Les plus importantes (Humanitas fiction, Polirom, Nemira, Litera), suivent de près les derniers succès et prix littéraires italiens, et ne manquent pas de publier chaque livre d’Alessandro Baricco, Elena Ferrante, Paolo Cognetti, Lorenzo Marone, Paolo Giordano, Roberto Saviano ou Andrea Camilleri, tout en s’intéressant aussi à des auteurs comme Tiziano Scarpa, Stefano Benni, Nadia Terranova, Andrea De Carlo, Susanna Tamaro, etc. Les traducteurs sont nombreux et souvent fidèles à leur maison d’édition ; on se limitera à citer ceux qui traduisent sans relâche les œuvres modernes : Gabriela Lungu, Cerasella Barbone, Geanina Tivda et Emanuel Botezatu. 

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