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3 mars 2020

Traduire et traduire encore les classiques

“Testo a fronte”, revue de théorie et de pratique de la traduction littéraire fondée en 1989 par Franco Buffoni fête ses trente ans avec un numéro particulièrement riche : Traduire et traduire encore les classiques dirigé par Stefania Ricciardi. La citation d’Antoine Berman, La traduction peut se passer de théorie non de pensée, placée en frontispice des pages d’introduction, apparaît comme le fil rouge de la partie centrale du volume, qui regroupe les actes de la journée d’études du 7 novembre 2018 organisée avec Paolo Grossi, directeur de l’Institut culturel Italien de Bruxelles (jusqu’à fin septembre 2019). La primauté absolue de la réflexion dans l’acte de traduction redimensionne effectivement la portée de l’approche théorique – trop souvent mise à l’honneur dans les colloques scientifiques – et redonne de l’importance non seulement au rapport direct avec le texte d’origine, mais aussi à l’interprétation critique qui en dérive. 

 

La musique du texte.

L’idée de fond est que la science de la traduction, même si elle un instrument nécessaire dans le bagage culturel d’un traducteur, ne peut remplacer l’oreille humaine, instrument essentiel et capital pour saisir la « musique » du texte, écrit Stefania Ricciardi. Il s’agit d’un concept largement partagé par les auteurs des contributions, traducteurs aguerris – on pense en particulier à Ilide Carmignani et Franca Cavagnoli – qui ont illustrés avec des exemples précis les étapes importantes de leur travail. Ils y abordent des questions générales (comment traduire un classique, comment rajeunir une traduction) et certaines plus précises (approche du texte, difficultés, choix, doutes). 

 

Traduire Gárcia Márquez, F. S. Fitzgerald, Joyce, Zamjatin, Claus, Yourcenar.

Dans la plupart des cas, il s’agit de nouvelles traductions d’œuvres des principaux auteurs du XXème de langue espagnole, anglaise, russe, néerlandaise et française. Parmi les « grands classiques », on trouve Cent ans de solitude de Gabriel Gárcia Márquez, dans la traduction d’Ilide Carmignani proposée par Mondadori en 2017 à l’occasion du cinquantenaire du chef-d’œuvre de l’écrivain colombien, prix Nobel de littérature en 1982 ; et Gatsby le magnifique de Francis Scott Fitzgerald (Feltrinelli 2011) traduit par Franca Cavagnoli. Fabio Pedone a raconté sa propre expérience de Finnegans Wake de James Joyce, traduit en collaboration avec Enrico Terrinoni. Fabio Pedone acheva en 2019 l’entreprise lancée par la Mondadori avec Luigi Schenoni en 1982. Alessandro Niero a présenté sa traduction de Noi de Evgenij Zamjatin (Mondadori 2018), précurseur du 1984 d’Orwell, alors que Franco Paris s’est attelé à traduire la poésie Visio tondalis d’Hugo Claus (Raffaeli Editore 2016). En clôture du volume, on remarque la contribution de Stefania Ricciardi, qui a « dépoussiéré » Moneta del Sogno (Denier du rêve) situé dans la Rome fasciste (Bompiani 2017).

 

Traduction, mode d’emploi.

La préface et la postface du numéro spécial fourmillent d’extraits des essais La lingua è un’orchestra. Piccola grammatica italiana per traduttori (e scriventi) de Mariarosa Bricchi (2018) e Oltre abita il silenzio. Tradurre la letteratura (2019), d’Enrico Terrinoni, parus tous deux chez Saggiatore. Il s’agit de deux textes non seulement instructifs, mais aussi « participatifs » au sens où ils invitent le lecteur à entretenir un rapport direct avec langue italienne, la grammaire et la traduction. Ces matières sont souvent perçues comme des mondes en soi, statiques et immuables – et parfois étranges – alors qu’elles demanderaient une plus grande prise de conscience et une meilleure interaction dans leur pratique quotidienne comme une sorte de patrimoine à entretenir et sauvegarder. 

 

Nous avons aimé …

Le principal intérêt de cette livraison de « Testo a fronte » tient dans la richesse de réflexions proposées à travers le prisme de l’expérience. L’orientation donnée aux contributions distingue particulièrement ce numéro. Elle invite constamment le lecteur à « écouter » le texte au-delà de la simple lecture. On apprécie l’effort de l’éditeur qui a fait dialoguer les considérations des traducteurs avec leur travail en en publiant quelques pages. Cette perspective, en effet, est souvent négligée dans le domaine des Translation Studies. Elle est pourtant fondamentale parce qu’elle dévoile le rapport, le « corps à corps », avec le texte, mais aussi les moments de grâce ou douloureux que seuls les traducteurs aguerris connaissent. Le numéro fait aussi la part belle à l’observation de la traduction au moyen de critères plus actuels, à savoir « la capacité de recevoir l’altérité sans la dénaturer, ni dénaturer sa propre identité » et ce, au nom de l’Hospitalité langagière revendiquée par Paul Ricoeur. La traduction devrait être considérée avant tout comme l’interprétation et l’exécution d’une partition, comme une performance occasionnelle et, de ce fait, interprétable à l’infini – au-delà d’éventuelles inexactitudes – parce que la traduction parfaite n’existe pas. Ce n’est pas un hasard si l’éditeur cite Susan Sontag : Toutes traductions se révèlent tôt ou tard imparfaites et finalement, même dans le cas d’un travail exemplaire, doivent être considérées comme provisoires.

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