Antonio Tabucchi en traduction
Auteur: Thea Rimini (Université de Mons – Université Libre de Bruxelles)
Antonio Tabucchi compte parmi les écrivains italiens contemporains les plus connus hors de nos frontières. Ses livres ont été traduits en plus de cinquante langues. L’intérêt pour cet auteur est même parvenu jusqu’en Asie : de la Chine à la Corée du Sud, de la Thaïlande à l’Iran, de Taïwan à l’Azerbaïdjan ou au Japon.
Au pays du soleil levant, le traducteur de Tabucchi, Tadahiko Wada, a joué un rôle fondamental dans la diffusion de ses œuvres.
Son titre le plus traduit est Sostiene Pereira (Pereira prétend), suivi de Notturno indiano (Nocturne indien). Parmi les livres plus récents de l’auteur italien, se détachent, pour le nombre de traductions, Tristano muore (Tristan meurt), véritable monologue halluciné, ainsi que son premier roman posthume Per Isabel (Pour Isabelle). Les recueils de récits connurent un moindre succès à l’exception du dernier, Il tempo invecchia in fretta (Le temps vieillit vite) qui fut publié dans de nombreux pays. Ses essais et certaines de ses œuvres quasiment « inclassables » (ni récits, ni romans), comme la littérature de voyage (Viaggi et altri viaggi) ou des écrits sur l’art (Raconti con figure), eurent plus de difficulté à franchir le seuil des frontières nationales.
Tabucchi en France : un exploit.
L’éditeur Christian Bourgeois est à l’origine de l’extraordinaire popularité de Tabucchi dans le monde francophone. Il publia en 1987 Donna di Porto Pim (Femme de Porto Pim et autres histoires), Notturno indiano (Nocture indien), Piccoli equivoci senza importanza (Petits malentendus sans importance) et l’année suivante Il gioco del rovescio (Le jeu de l’envers) et Il filo dell’orizzonte (Le fil de l’horizon).
À partir de 1994, les traductions de Tabucchi seront signées par son grand ami Bernard Comment, écrivain et éditeur.
Devenu un écrivain de renommée internationale, Tabucchi est édité en France chez Gallimard depuis le début des années 2000. La prestigieuse maison parisienne a publié non seulement ses nouvelles œuvres, mais aussi de vieux titres dans la collection « Du monde entier ». Bernard Comment signe toujours les traductions des nouveaux livres de son ami. Comment réussit à s’approcher du style de Tabucchi plus que ne le faisait Chapuis qui, à son époque, abusa du relatif anonymat de l’auteur italien en France pour le « franciser » afin de le rendre plus abordable à un nouveau lecteur.
Gallimard n’est pas toutefois le seul éditeur de Tabucchi en France. Le Seuil a publié ses essais et la première édition des Trois derniers jours de Fernando Pessoa (Gli ultimi tre giorni di Fernando Pessoa) dans la prestigieuse collection « La librairie du XXème siècle », dirigée par Maurice Olender. En 2019, des éditions bilingues ont été également publiées par d’autres maisons d’édition. La première, Tabucchi par lui-même, est parue dans la collection de l’Institut de la Culture italienne de Paris, « Cahiers de l’Hôtel de Galliffet », dirigée par Paolo Grossi, qui réunit les textes édités et inédits de caractère autobiographique de Tabucchi, dans la traduction de Carole Cavallera ; la seconde est E finalmente arrivò il settembre, récit inachevé, publié le petit éditeur Chandeigne, traduit avec élégance en portugais par Maria José de Lancastre et en français par Martin Rueff.
Tabucchi dans la péninsule ibérique
Directeur de la maison d’édition Anagramma, Jorge Herralde est sans conteste la cheville ouvrière du succès de Tabucchi en Espagne. Donna di Porto Pim y fut publié en 1984. À partir de 1991, Carlos Gumpert devient le traducteur « de confiance » de Tabucchi. Devenu son ami, il sera l’auteur d’un important recueil d’interviews : Conversaciones con Antonio Tabucchi.
Au Portugal, son pays d’adoption, les œuvres de Tabucchi tiennent souvent le haut du pavé dans les classements des meilleures ventes de livres.
Il gioco del rovescio a été le premier livre de l’écrivain italien à être traduit en portugais en 1984. Publié par la petite maison d’édition Vega, le texte est précédé par la belle préface de l’un des plus importants écrivains portugais de l’époque, José Cardoso Pires.
Depuis les années 2000, les textes de Tabucchi sont publiés par Dom Quixote. Ce nouvel éditeur propose également des nouvelles traductions comme celle de Notturno indiano en 2009 par Gaëtan Martins de Oliveira ainsi que des rééditions avec une nouvelle présentation graphique.
De l’Allemagne aux États Unis
C’est Jorge Herralde qui a signalé Tabucchi à la petite maison d’édition de Klaus Wagenbach qui publie Donna di Porto Pim. Peu de temps après Tabucchi signe chez Carl Hanser Verlag où il travaillera en collaboration avec le directeur éditorial Michael Krüger. À l’instar de ce qui s’est passé en France et en Espagne, Tabucchi trouve en Allemagne « sa » traductrice : Karin Fleischanderl.
Dans le monde germanophone, les œuvres de l’écrivain italien sont très appréciées, comme le démontrent les nombreuses recensions parues dans les principaux quotidiens et revues. Sans surprise, le titre phare de Tabucchi est Sostiene Pereira, qui se place à la seconde place des textes les plus vendus. Hanser publie également des livres plus « difficiles » comme, en 2019, Racconti con figure.
L’histoire des traductions de Tabucchi dans le monde anglophone est très tourmentée, surtout en ce qui concerne les traducteurs qui s’y sont essayés au cours du temps.
Tabucchi est traduit en anglais pour la première fois en 1986 : Il gioco del rovescio est publié par la maison d’édition américaine indépendante New Directions, qui restera son éditeur de référence jusqu’au début des années 2000. Le livre n’a pas eu le succès escompté. Le titre choisi – Letter from Casablanca – résulte d’un choix peu opportun si l’on pense que Il gioco del rovescio est véritablement un titre emblématique. Mais pas seulement, car avec un rythme syncopé, fait de phrases brèves, la traduction ne rend pas justice à la syntaxe de Tabucchi, une syntaxe longue et complexe mimant les mouvements de la langue parlée.
Au cours du temps, nombreux sont les livres de Tabucchi qui ont été retraduits ou dont les traductions ont été révisées. Une attention particulière a été portée à la traduction des titres. Il filo dell’orizzonte, par exemple, a été traduit en 1990 par Tim Parks chez New Directions, sous le titre The Edge of The Horizon. Le même livre est publié un an plus tard par la maison d’édition Chatto & Windus (1991) sous le titre Vanishing point, choix plus pertinent dans la perspective de la poétique « tabucchienne » de l’indéfini et de la nuance. Même Sostiene Pereira, traduit par Patrick Creagh, change de titre : de Declares Pereira (New Directions, 1996) au plus efficace Pereira maintains (Canongate Books, 2010).
À partir de la fin des années 2010, une nouvelle période « éditoriale » commence pour les œuvres de Tabucchi en langue anglaise. La prestigieuse maison d’édition américaine Archipelago publie I volatili del Beato Angelico et Donna di Porto Pim, traduits par Tim Parks. À partir de Tristano muore, c’est Elizabeth Harris qui traduit les œuvres de Tabucchi : elle reçoit d’ailleurs pour Tristano le prix américain ALTA pour la meilleure traduction d’un livre étranger ; elle traduit aussi le « mandala » Per Isabel. C’est justement grâce au succès de Per Isabel que, d’une part, sont publiés ses livres plus « hétérodoxes » et que, d’autre part, l’on s’intéresse à nouveau à ses œuvres précédentes présentées dans de nouvelles éditions. Phénomène identique pour Message from the Shadows, sélection de récits, sorte de Best of, qui a reçu de nombreuses et excellentes recensions. Avec ce nouveau titre, Tabucchi s’est finalement affirmé, même outre atlantique, comme un maître indiscuté de la narration brève.