Entretien avec Silvia Chiarini, libraire italienne à Vienne
Auteur: Paolo Grossi
Hartliebs Bücher, Livres & Libri (Porzellangasse 36, 1090 Wien), inaugurée en 2013, est une librairie de langue allemande, française et italienne où chaque section est gérée par une libraire de langue maternelle.
La librairie ne vend-elle que des livres italiens en édition originale ou également des traductions ? Sur quels critères choisissez-vous l’assortiment de livres italiens et quelle est la proportion d’ouvrages de littérature, essais, bandes dessinées et livres pour enfants ?
Les titres proposés en librairie sont pour la plupart en langue allemande avec une prédominance de livres pour enfants et d’œuvres de fiction. À ceux-ci s’ajoutent les quelque 4 000 titres du rayon français et le rayon italien, qui compte près de 2 500 titres, tant en édition originale italienne qu’en traduction.
Au moins la moitié des ouvrages du rayon italien sont de la fiction ainsi que des romans policiers – qui sont presque tous en italien et que j’ai classés par région -, puis de la poésie et des romans graphiques. Environ un cinquième des titres sont destinés aux enfants, avec surtout des albums illustrés et des histoires à raconter. Pour la lecture individuelle, nous proposons les livres qui participent au Prix Strega Ragazzi, qui grâce à la bibliothécaire italienne Anna Bellé et à la traductrice Tania Spagnoli, peuvent compter sur un groupe de lecteurs et votants à Vienne. Le reste est composé d’ouvrages sur tous les sujets et centres d’intérêt que nous réussissons à couvrir : voyages, cuisine, art, musique, biographies, sciences, philosophie, histoire et actualité, économie, mythologie, féminisme, écologie, essais littéraires et enfin une section consacrée à Vienne. Pour moi qui les choisis avec soin, c’est beaucoup, mais bien peu par rapport au nombre de sorties annuelles. Mes choix sont dictés par ma volonté de proposer un juste équilibre entre les titres et les auteurs les plus demandés et ceux qui sont moins connus, tout en essayant de privilégier autant que possible les éditeurs indépendants.
Quels sont les auteurs italiens que l’on vous demande le plus souvent ?
Les romans policiers, souvent situés dans des villes ou des régions précises, sont très demandés, mais ce sont surtout les éditions originales des livres qui arrivent en traduction sur le marché germanophone qui suscitent l’intérêt des lecteurs à l’étranger. Et il ne faut pas oublier les livres des auteures et auteurs que nous présentons en librairie, souvent en mode bilingue ; ces moments de rencontre et de partage permettent de faire arriver les livres italiens, ainsi que leurs traductions, à davantage de lecteurs. Les cours d’italien utilisent aussi très souvent des textes littéraires comme base d’apprentissage de la langue et de la culture italiennes.
Sur la base de votre expérience, quelles initiatives sont particulièrement efficaces pour attirer l’attention du public et fidéliser les clients ?
À mon avis, une librairie doit être gérée sans oublier que c’est un lieu de partage ; les lecteurs devraient la fréquenter et « l’habiter », il faudrait toujours leur laisser la possibilité de contribuer à en faire un lieu de rencontres, d’échanges et d’apprentissage. Des initiatives comme les cercles littéraires (nous avons fondé « La Giostra ») incitent les lecteurs à échanger leurs opinions et leurs idées, de même que les présentations avec des auteures et auteurs leur permettent de se faire une opinion et les rapprochent de ce métier qui « raconte des histoires ». Quand la librairie est à l’étranger, le travail sur le territoire est encore plus important et fondamental : il doit faire connaître et raconter la littérature italienne, si possible avec ceux qui l’écrivent et la traduisent.
En librairie, nous avons déjà accueilli au moins 40 auteures et auteurs italiens, dont la majorité a eu la possibilité de faire une présentation dans les deux langues car le livre avait déjà été traduit. Les ressources nécessaires – notamment financières – sont conséquentes, et beaucoup de présentations ont été possibles grâce au soutien de l’Institut Culturel Italien. Cette synergie entre les librairies italiennes à l’étranger et les institutions est indispensable.
Dans notre cas, la coopération entre l’Institut Culturel Italien, la librairie Hartliebs Bücher et l’association Librai in Corso a abouti à l’organisation du premier festival bilingue de littérature italienne à Vienne. Il s’appelle LA FONTE et se tiendra du 25 au 27 février 2022 : un week-end avec neuf présentations bilingues et une lecture en italien pour les plus petits pour raconter la littérature italienne contemporaine.
De votre point de vue de libraire, quelles « initiatives de système » devraient être prises en Italie pour promouvoir la vente de livres en italien à l’étranger ?
Pour envisager de possibles interventions, commençons par détailler les problèmes engendrés par le fait que les marchés du livre italien et germanophone sont structurés de manière différente.
La distribution est l’un des problèmes qui touchent les livres italiens à l’étranger, car les distributeurs officiels italiens ne travaillent pas avec l’étranger. C’est pourquoi nous nous fournissons par l’intermédiaire de grossistes, qui travaillent très bien, mais accordent un faible rabais au libraire. Et les frais de port s’élèvent à 5%. Ensuite, les initiatives de promotion ne traversent pas les Alpes, et les informations sur les programmes des éditeurs n’arrivent pas jusqu’aux libraires qui reçoivent systématiquement les avant-premières et les nouveautés en librairie avec du retard par rapport à la date de sortie.
Le rayon français bénéficie, lui, du soutien de la France : nous sommes la librairie de référence dans la liste du CNL (Centre National du Livre), qui nous donne la possibilité de recevoir des subventions, et tous les distributeurs français ainsi que certains promoteurs travaillent avec l’étranger, ce qui nous permet d’obtenir des rabais plus facilement.
Il faut mettre en place des initiatives structurelles et économiques qui, dans le marché du livre italien, amènent les librairies italiennes à l’étranger à être considérées comme des librairies italiennes à part entière, et qui les soutiennent dans leur travail de diffusion et promotion de la littérature italienne dans le monde. Il faudrait par exemple les inclure dans la liste des librairies de qualité (celle qui a été instaurée par la réforme de la loi entrée en vigueur en mars 2020 les exclut car elles sont situées hors du territoire national), ou bien accorder des aides à la distribution, ou encore des aides pour les éditeurs italiens, qui avec les librairies et/ou les institutions, organisent des présentations à l’étranger.