Une collection allemande à la découverte de l’Italie: entretien avec Mario Desiati
Mario Desiati est connu comme romancier, poète et essayiste. Pippo Mezzapesa a réalisé un film à partir de son roman éponyme Il paese delle spose infelici (2008, lauréat du prix Mondello). Ternitti (2011) le propulse parmi les douze finalistes du prix Strega. Membre du comité de rédaction de la revue Nuovi Argomenti, Mario Desiati a derrière lui une longue expérience du monde du livre, d’abord chez Mondadori, puis comme directeur éditorial de Fandango Libri (2008-2013). Résident à Rome, il se rend très souvent à Berlin où, entre autres choses, il collabore avec la maison d’édition Wieser Verlag, pour laquelle il a dirigé avec Judit Krieg quelques livres consacrés à des régions et des villes italiennes.
Qu’est-ce que la collection «Europa erlesen» publiée par l’éditeur Wieser Verlag de Klagenfurt ?
Il s’agit d’une collection éditoriale en langue allemande qui existe depuis de nombreuses années et qui publie des «anthologies territoriales». Ce sont des recueils de récits sur un lieu donné. Les textes choisis ordinairement sont de nature variée : on y trouve des extraits d’auteurs internationaux qui offrent des points de vue différents sur un lieu donné. Il s’agit d’auteurs soit de langue allemande, soit d’autres pays. Au moins la moitié d’entre eux sont des écrivaines. Ces livres racontent les lieux avec la voix des écrivains qui les ont vu, qui y ont vécu ou qui les ont seulement imaginés. Europa erlesen est une expression difficile à traduire, parce qu’erlesen renvoie au verbe erleben, expérience, et le verbe lesen veut dire lecture. Un jeu de mots pour définir une expérience à travers la lecture.
Quels sont les volumes que tu as dirigés pour cette collection ? Qui a réalisé les traductions en allemand des auteurs italiens sélectionnés ?
J’ai commencé à collaborer en 2015, depuis lors j’ai dirigé trois volumes avec Judit Krieg. Il en sort un tous les deux ans parce que nous choisissons et traduisons les textes avec le plus grand soin. Le premier volume sur les Pouilles et la Basilicate a été très bien reçu et a connu un beau succès. De grands auteurs, appréciés des allemands, ont parlé des Pouilles comme Pier Paolo Pasolini ou Ingeborg Bachmann, mais aussi de jeunes auteurs, surtout des écrivaines, que le public allemand ne connaissait pas. J’ai cherché à faire une place à des auteurs italiens qui ne sont pas ou peu connus en langue allemande. Parmi les textes du volume sur les Pouilles, je voudrais signaler Alessandro Leogrande, un des meilleurs écrivains italiens de sa génération, disparu trop tôt, qui en 2017 a débuté chez Europa erlesen Apulien avec un reportage sur les masserie (exploitations agricoles traditionnelles des Pouilles, ndt.).
Le second volume que nous avons dirigé avec Judith Krieg est Europa erlesen Toskana. À côté de nombreux classiques nous avons laissé la place à des écrivaines qui méritent d’être connues comme Simona Baldanzi, Teresa Ciabatti, Elena Stancanelli et beaucoup d’autres.
Toutes les traductions inédites sont l’œuvre de Judit Krieg. Pour les textes que l’on peut définir des classiques italiens (par exemple Dante ou Boccace dans l’anthologie toscane), on a utilisé des traductions déjà éditées.
En plus des Pouilles, de la Basilicate et de la Toscane, as-tu d’autres projets pour cette collection ?
Pour le moment, avec Judith, nous travaillons sur Milan, une ville qu’elle connaît très bien car il y a vécu pendant des années.
Avec ton expérience berlinoise, quel est ton avis sur la présence en Allemagne de la littérature italienne la plus récente ? Le monde éditorial allemand est-il ouvert aux nouveautés en provenance d’Italie ? Quelles sont les maisons d’éditions les plus intéressées à nos livres ? Y-a-t-il des critiques ou des traducteurs qui, selon toi, jouent le rôle particulier d’intermédiaire, de passeurs entre l’Italie et l’Allemagne ?
En général, c’est surtout la littérature anglo-américaine qui est traduite en Allemagne ; dans les années 1970 et 1980, on prêtait plus attention à la littérature italienne (Pasolini, Ginzburg, Morante et tellement d’autres) et ce fut en partie grâce à la maison d’édition de Klaus Wagenbach. Et puis il y eut la période Eco et Tabucchi. À la suite de ça, l’intérêt s’est tari, exception faite des polars. Mais depuis quelques années, on sent un regain d’attention dans le sillage d’Elena Ferrante. Il y a deux maisons d’édition d’importance dans ce domaine : évidemment Wagenbach, spécialisée en littérature italienne, mais aussi Suhrkamp, Fischer, Hanser, Aufbau (chez qui vient de sortir, par exemple, le roman de Nadia Terranova), Klett Cotta et des toutes petites maisons comme Edition Converso et Non Solo Verlag. Et il y a beaucoup de traducteurs/traductrices qui sont très actifs, également comme critiques, comme, par exemple, Maike Albath ou Thomas Steinfeld.