Il corno di Orlando (Orlando’s horn)

Le Tour de France, au temps des pionniers, est un monde à l’envers, habité par un peuple d’insomniaques qui aiment les brasseries et la route. On commence à la faveur de la nuit. Les coureurs, les aventuriers, les vantards, les menteurs, sont des fantômes multicolores qui avancent dans l’obscurité, parmi les lueurs des torches et des phares, avant de devenir des chevaliers du soleil, trempés de boue, et d’affronter les montagnes, en gravissant les éboulis et les champs de neige. C’est là, dans le plus inaccessible et le plus inattendu des décors, qu’un Vénitien au nez fin, sans même une victoire parmi les professionnels, trouvera son habitat idéal. Il s’appelle Ottavio Bottecchia, et sur les Pyrénées, il va construire sa propre chanson de geste, comme Roland à Roncevaux. Les Français l’appelleront Botescià. Premier Italien à triompher sur le Tour, premier athlète à porter le maillot jaune de la première à la dernière étape. Mais Bottecchia est avant tout un mystère, à la fois en tant que coureur, avec ce palmarès éblouissant et imparfait, et en tant qu’homme : un héros de guerre, ignoré et espionné par le régime, qui a soudainement disparu un matin de juin lors d’un entraînement solitaire. Nombreuses sont les hypothèses, jamais confirmées. Il s’est agi d’une chute, d’un guet-apens politique, d’un crime passionnel, d’une affaire de jeu ? Quatre-vingt-dix ans après sa mort, démystifiant les reconstitutions les plus fantaisistes, Claudio Gregori s’appuie sur une quantité de documents sans précédent pour réécrire l’histoire définitive de l’un des plus grands champions de la petite reine, un Cyrano disgracieux avec des lunettes d’aviateur et un boyau en bandoulière, mais capable de dominer le Tour plus que Bartali et Coppi.