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12 juillet 2021

Federigo Tozzi en traduction

Auteur:
Ilaria de Seta, KU Leuven

Tozzi est un auteur difficile, qui doit être lu du début à la fin, tel un défi. Ses romans, sa prose, ses essais ne sont pas des lectures légères ; on ne les lit pas pour se distraire mais pour comprendre et réfléchir. Sa vision du monde est féroce et parfois désespérée, mais aussi très vivante et extrêmement poétique. Ses descriptions ont une puissance représentative typique de l’art figuratif ; son langage creuse comme un burin, un travail artisanal comparable (selon son associé Borgese) à celui d’un forgeron et j’ajouterais, plus succinct que prolixe. Il nous fait découvrir des mondes, des vérités profondes, souvent douloureuses, mais qui parviennent à toucher l’âme. Du récit de son premier amour à sa relation torturée avec un père tout-puissant et une mère sous emprise et en souffrance, jusqu’aux contacts difficiles avec ses semblables, les intrigues des récits de Tozzi sont toujours minimales ; elles vont à l’essentiel dans la description des genres et relations humaines, avec une épaisseur qui troue la page et imprègne l’imagination du lecteur. En plus des archétypes père-mère-fils-fiancée, il y a des personnages dont il force de temps à autre un détail physique – les yeux, la bouche, le nez, le front ou les oreilles – grossissant et déformant ainsi leur visage à travers une synecdoque expressionniste. Les paysages naturels et urbains sont, comme ses personnages, très expressionnistes : des éléments sont mis en évidence et déformés comme au travers d’une loupe qui est celle de sa très grande sensibilité artistique et émotionnelle, nourrie par ses lectures de philosophie, psychiatrie et psychologie – disciplines en pleine évolution et développement à son époque – et par les arts figuratifs sur lesquels il a écrit quelques critiques. Ses œuvres ont pour cadre des lieux où il a vécu, tout d’abord la région de Sienne, puis Florence et Rome. Il a pour cette raison été longtemps considéré à tort comme un auteur provincial, alors que sa production littéraire a un souffle européen. Si la preuve la plus évidente de sa xénophilie est son travail de traduction d’œuvres françaises (Henri Frichet et Victor Hugo), en bon autodidacte, à l’instar et peut-être même davantage que Svevo et Montale, sa formation s’est nourrie des influences et domaines les plus divers de la culture humaniste récente, au travers de lectures d’œuvres d’auteurs de la génération précédant la sienne ou de ses contemporains comme Ibsen, Strindberg, Maeterlinck, Nietzsche, James, Ribot, Kafka, Joyce, Wolf, Hardy ou Roth.

Après sa mort, la production littéraire de Tozzi s’est diffusée principalement en Europe. L’inventaire le plus complet des traductions d’œuvres de Tozzi a été réalisé par Riccardo Castellana avec la collaboration de Paola Salatto et Antonello Sarro, Federigo Tozzi. Bibliografia delle opere e della critica, Bibliografia e informazione, Firenze, 2008.  Il ressort de cette bibliographie et de ce que j’ai pu recenser moi-même, que jusqu’en 2007, 50 traductions ont été réalisées dans 13 langues européennes : français, anglais, allemand, néerlandais, espagnol, suédois, portugais, hongrois, roumain, catalan, slovaque, tchèque et serbe. Jusqu’en 2007, le plus grand nombre de traductions est vers le français (9), suivi par 8 en anglais et allemand, 5 en roumain, 4 en néerlandais, 3 en espagnol et suédois, 2 en portugais, et une en hongrois, catalan, slovaque, tchèque et serbe. L’œuvre la plus traduite est le roman Con gli occhi chiusi avec 10 traductions, puis Tre croci avec 9 traductions et Il podere 8 traductions ; les œuvres en prose Bestie ont été traduites 5 fois ; I ricordi di un impiegato 2 fois ; enfin, on trouve une traduction d’Egoisti (mais il en existe une autre aujourd’hui) et une d’Incalco.

On ne s’étonnera pas que l’œuvre la plus traduite de toutes soit le roman Con gli occhi chiusi, son plus gros succès public en Italie, et que le français soit la langue vers laquelle ont été effectuées le plus de traductions (la culture française a une sensibilité proche de la culture italienne, et à cette époque on a su repérer et valoriser ses meilleurs produits), tout comme ne surprend pas le fait que la première traduction d’une œuvre de Tozzi en anglais, datant de 1921 (l’année suivant sa mort prématurée) soit celle de Tre croci, que Borgese avait qualifié de chef-d’œuvre. Poursuivons par ordre chronologique : en 1926 nous trouvons la traduction de cette œuvre en suédois ; en 1935 en plus de Tre croci, d’Il podere en hongrois, puis encore Tre croci en espagnol en 1942, et Il podere en portugais en 1944. Après-guerre, dans les années Cinquante, nous trouvons seulement Tre Croci et Il podere, traduits en serbe (1956). En 1961, Il podere paraît en portugais et I ricordi di un impiegato est traduit pour la première fois en langue étrangère, en anglais, en 1964. Il est étonnant de remarquer que c’est seulement en 1971 qu’a été traduit Con gli occhi chiusi pour la première fois, avec une traduction vers le tchèque. En 1975, Tre Croci est traduit en roumain. Ce sont les seules traductions de Tozzi dans les années 70. En revanche, les traductions parues au cours des années 80 sont nombreuses : a) Con gli occhi chiusi, Tre croci et Il podere sont traduits en slovaque en 1980, puis en français en 1986 ; Ricordi di un impiegato en allemand en 1988, puis en roumain et anglais en 1989 ; b) Il podere paraît en slovaque en 1980, puis en roumain et en français en 1989 ; c) Bestie (traduit pour la première fois) est publié en allemand en 1983 puis retraduit en 1988, et traduit en français cette même année 1988 ; d) Ricordi di un impiegato paraît en allemand en 1988 ; e) Gli egoisti en roumain en 1989. Dans les années 90 se succèdent de nombreuses traductions de : 1) Con gli occhi chiusi traduit en anglais en 1990, puis en français en 1993, en néerlandais en 1994, et enfin en espagnol en 1998 ; 2) Tre croci, publié en portugais en 1990 et en français en 1994 ; 3) Il Podere et Una sera presso il Tevere traduit en roumain en 1991 ; 4) Bestie en néerlandais en 1993 et 1994 ; 5) L’incalco, traduit en anglais en 1995. Pour finir, dans les années 2000 (et jusqu’en 2007) : une traduction américaine de nouvelles sur le thème de l’amour en 2001 et la même année, Bestie en catalan, Gli orologi en anglais et Tre croci en espagnol. Enfin, en 2002, c’est Giovani qui est traduit en français.

À partir de 2007 (après l’inventaire de Castellana op. cit.) et jusqu’à aujourd’hui, voici ce qu’on a pu recenser : en 2008, traduction du recueil de nouvelles L’amore en hongrois ; en 2010, Tre croci en croate et en 2011, puis Il podere dans cette même langue ; en 2012, Bestie est traduit en français, suivi de Con gli occhi chiusi en 2016, de Cose e persone en 2019 et de Gli egoisti en 2020 ; en 2015, publication d’une réédition de la toute première traduction de Tozzi datant de 1921, Tre croci, en anglais. Ces dernières années, preuve de l’intérêt croissant manifesté pour l’auteur siennois, figurant désormais en bonne et due place dans le canon littéraire aux côtés de Pirandello et Svevo, des traductions vers des langues extra-européennes ont vu le jour : en 2015 les nouvelles Elia e Vanina et La stessa donna (issues du recueil L’amore) ont été traduites en arabe, alors qu’une traduction chinoise de Con gli occhi chiusi sortira au printemps 2021 avec en annexe des lettres tirées de Novale.

Les traductions sont conditionnées par la culture du pays de la langue d’arrivée mais surtout par le succès rencontré dans le pays d’origine au moment où l’œuvre est traduite, en commençant par les rééditions, dont les critiques garantissent une certaine visibilité dans la presse. L’accueil du public et de la critique dans le pays d’arrivée de la traduction joue aussi un rôle important, et permet aux traductions de s’enchaîner les unes après les autres. Il serait intéressant de vérifier comment les titres des œuvres sont traduits, mais il faudrait pour cela qu’un linguiste polyglotte fasse un travail de comparaison. Autre point à prendre en compte : dans quelle mesure les traducteurs sont-ils des « traducteurs d’un certain auteur » ou des traducteurs qui traduisent « aussi » un auteur, et dans tous les cas, quels auteurs contemporains traduisent-ils. Dans le cas de Tozzi, ce sont plutôt des traducteurs d’auteurs italiens majeurs qui, comme pour l’auteur siennois, s’adressent à un public de lecteurs très cultivés. Par exemple, le principal traducteur contemporain de Tozzi vers le français est Philippe De Meo, qui a traduit entre autres Gadda, Savinio, Montale, Caproni, Zanzotto, Pasolini, Manganelli ou Bonaviri. Dans tous les cas, il est essentiel de citer les traducteurs par leur nom. Pour des raisons d’espace et de cohérence on ne mentionne ici que les traducteurs à partir de 2007 (date de la publication de Castellana op. cit., qui recense les données bibliographiques antérieures) : pour le hongrois Adrienn Borsics, pour le croate Mina Dordevic, pour le français Philippe Di Meo et Alessandro Benucci, pour l’arabe Wafaa Raouf et pour le chinois PeiPei Xie.

 

 

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