Italo Calvino en traduction – Deuxième partie
Auteur: Francesca Rubini, Università “La Sapienza” – Rome
Entre 1970 et 1985, 11 nouveaux pays accueillent des traductions de livres de Calvino (pour un total, en 1985, de 40), la plupart en Europe : en Turquie et en Grèce, où les publications du Barone rampante (Istanbul, 1971) et du Cavaliere inesistente (Thessalonique, 1972) ne représentent que des faux départs et où l’auteur ne commencera à être vraiment lu que dans les années 1980 et 1990 ; en Lituanie, en 1975 ; en Bulgarie, en 1979 ; en Albanie, en 1981. Les premiers volumes publiés en Israël (1978) sont également déterminants pour la fortune de l’auteur, tandis que des réimpressions épisodiques des éditions américaines commencent à être proposées au Canada (1981) et que des volumes uniques sans suite apparaissent en Birmanie (1980), en Arménie (1984) et en Colombie (1985). En 1981, la première traduction apparaît en Chine, premier signe d’un succès qui ne se manifestera qu’au cours de la décennie suivante.
Dans ce tableau très contrasté, se confirme la prééminence de la France, des États-Unis, du Royaume-Uni et des deux républiques allemandes qui, avec l’Espagne, ont écoulé plus de la moitié des éditions réalisées. Par rapport aux années 1950 et 1960, l’essor du contexte espagnol est l’un des phénomènes les plus évidents : Madrid et Barcelone non seulement remplacent Buenos Aires en tant que centres de diffusion des traductions en castillan, mais s’imposent également comme les réalités dans lesquelles sont proposés le plus grand nombre d’ouvrages (16, dans 29 éditions différentes), imprimés principalement par Alianza Editorial et Bruguera. La deuxième évidence est un premier décentrement par rapport à l’axe européen, avec l’émergence du Japon (présent avec 15 nouvelles éditions et visité par Calvino en 1976) pour réaffirmer la dimension désormais pleinement mondiale de sa fortune. En ce qui concerne la dimension éditoriale, une série d’éditeurs se distinguent pour les projets ambitieux qu’ils entreprennent autour de l’auteur : Le Seuil en France récupère également les premières œuvres oubliées (la première édition du Sentiero dei nidi ragno paraît en 1978) et travaille dans une relation de plus en plus étroite avec l’écrivain ; Harcourt Brace Jovanovich s’impose aux États-Unis en partageant les droits de traduction avec Secker & Warburg au Royaume-Uni ; Volk und Welt et Hanser sont actifs respectivement en République démocratique allemande et en République fédérale d’Allemagne ; puis Bert Bakker aux Pays-Bas, Bonniers en Suède, Tammi en Finlande, Sifriyat Po’alim en Israël. Parmi les traducteurs, de nouvelles présences importantes s’imposent comme Francesc Miravitlles pour le castillan, Burkhart Kroeber pour l’allemand, Henny Vlot pour le néerlandais, Lene Waage Petersen pour le danois, Gayo Sciloni pour l’hébreu. Les initiatives éditoriales de l’Europe centrale, septentrionale et orientale sont nettement plus discontinues, avec le cas emblématique de la Russie qui résiste à l’entrée d’œuvres postérieures aux Cosmicomiche.
Le rythme des traductions est également inégal, près des deux tiers des volumes imprimés entre 1980 et 1985 témoignant d’un déclin général des publications au cours de la décennie précédente. Après le pic d’attention pour le nouvel auteur lors de ses débuts internationaux, il y a un ralentissement dans de nombreux pays entre 1971 et 1979, retard qui commence à être comblé au début des années 80 grâce à un nouvel intérêt de la part de la France et, surtout, des États-Unis. Ce sont les deux pays qui contribuent le plus à définir son identité à l’étranger et dans lesquels l’auteur est reconnu comme une présence continue et enracinée, organique au système, et non plus précaire, étrangère, incomplète, comme c’est le cas pour de nombreux auteurs traduits, et comme cela continue d’être le cas pour Calvino lui-même dans d’autres contextes. Pour des raisons différentes et selon des modalités différentes, il y a en France et aux États-Unis une coïncidence entre une couverture critique prestigieuse (par Gore Vidal et Roland Barthes, entre autres), un succès auprès du public, une stabilité des relations intellectuelles et de la promotion éditoriale (également grâce aux tirages importants de la série de livres de poche), et une forte intégration dans le panorama culturel de référence. En particulier, une image de Calvino en tant qu’écrivain postmoderne a commencé à prendre forme dans le contexte américain, auteur de trois livres considérés comme exemplaires du postmodernisme, tels que Il castello dei destini incrociati, Le città invisibili et Se una notte d’inverno un viaggiatore. Le contexte postmoderniste se présente comme un circuit fermé de production/fruition, dans lequel des narrateurs tels que John Gardner, John Updike, John Barth écrivent leurs propres œuvres (souvent appréciées par Calvino) et ensuite lisent, écrivent, donnent des cours universitaires sur d’autres auteurs, y compris Calvino. Ce périmètre autoréférentiel caractérise le contexte américain, mais il rend compte d’un fait qui s’applique à presque tous les pays qui ont déjà une certaine familiarité avec l’auteur : présenté dans les années 1950-1960 comme un écrivain fantastico-féerique-allégorique au caractère bizarre, Calvino a commencé à être perçu, à partir des traductions du Castello (et encore plus avec les deux livres suivants), comme un écrivain difficile, un écrivain pour les intellectuels et les autres écrivains. Stimulés par le succès aux États-Unis et dépassés seulement par l’invincible Barone rampante (30 éditions dans 19 pays), Le città invisibili (28 éditions dans 17 pays) et Se una notte d’inverno un viaggiatore (26 éditions dans 18 pays) se sont imposés à ce stade comme de grands succès internationaux. L’une des conséquences d’une telle affirmation est le rapprochement soudain entre les dates de publication italiennes et celles des pays étrangers. Si l’on considère les valeurs moyennes des éditions parues avant 1985, un titre comme Le Cosmicomiche a été traduit pour la première fois dans les nouvelles langues six ans après son édition originale. La valeur reste inchangée pour Le città mais tombe à moins de quatre ans en moyenne pour Se una notte d’inverno un viaggiatore et à seulement deux ans pour Palomar. Si l’on considère que Il sentiero dei nidi di ragno présente un écart moyen de dix-sept ans entre la première édition en italien et celle dans d’autres langues, la synchronie avec laquelle la dernière œuvre narrative est accessible aux lecteurs dans dix pays différents (autant que ceux enregistrés en 1985 pour Palomar) met en évidence l’attention qui entoure l’auteur à la suite de la grande popularité de Le città et de Se una notte. Une attention qui s’exprime surtout dans l’attente de nouvelles œuvres et moins dans le désir de découvrir l’ensemble de l’œuvre, comme en témoignent la faible diffusion des fictions réalistes des années 1950 et 1960 ou les rares versions du premier recueil d’essais, Una pietra sopra.
Alors que le retard du premier Calvino et la fortune de la lecture postmoderne d’une matrice américaine tendent à faire converger les lignes d’intérêt sur la fiction expérimentale, le dialogue avec les œuvres traduites devient de plus en plus important et de plus en plus interne à la recherche littéraire, selon un parcours qui va d’une confrontation dialectique initiale (l’œuvre originale italienne s’adaptant au contexte international) à une correspondance sous-jacente (l’œuvre originale italienne pensée en relation avec le contexte international). Le dernier exemple, le plus réussi, est la préparation de Lezioni americane, un texte exprimant une vision explicitement supranationale du patrimoine littéraire que Calvino a conçu (et progressivement fait traduire) pour le public américain des étudiants de Harvard.