Entretien avec Alessandro Gazoia, directeur éditorial des maisons d’édition nottetempo et 66thand2nd
Auteur: Laura Pugno
En janvier 2024, deux maisons d’édition italiennes indépendantes, nottetempo (dirigée par Andrea Gessner et basée à Milan) et 66thand2nd (dirigée par Isabella Ferretti et basée à Rome) ont annoncé la création d’un nouveau pôle éditorial et d’une « alliance horizontale » qui prévoit que les deux éditeurs auront une seule direction stratégique.
Pour le cycle d’interviews de newitalianbooks, Alessandro Gazoia, chargé de cette nouvelle direction, répond à nos questions sur le profil des deux maisons d’édition vu de l’étranger et sur la nouveauté de cette réorganisation sans précédent.
Comment décririez-vous la production éditoriale de 66thand2nd et de nottetempo aux lecteurs étrangers ? Quelles sont les caractéristiques et les forces de chaque éditeur∫ ?
En ce qui concerne les auteurs italiens, 66thand2nd a surtout évolué dans les territoires de la fiction, avec des ouvertures dans la non-fiction. Je ne citerai ici que L’unica persona nera nella stanza de Nadeesha Uyangoda (qui collabore avec le domaine étranger de la maison d’édition) et Sad Girl de Sara Marzullo, publié depuis peu. Parmi les romans, je retiens au moins Adorazione et le récent La verità che ci riguarda d’Alice Urciuolo (le premier a été finaliste au prix Strega et a fait l’objet d’une série Netflix, qui sortira bientôt), Estate caldissima de Gabriella Dal Lago et Madre piccola d’Ubah Cristina Ali Farah. À l’exception de cette dernière, tous les autres auteurs ont fait leurs débuts chez 66thand2nd, qui s’engage pleinement dans la recherche et la promotion d’auteurs débutants et émergents.
L’une des spécificités de 66thand2nd est la narration sportive, qui est un domaine d’élection de la maison d’édition depuis sa création par Isabella Ferretti et Tomaso Cenci. En bref, l’ambition était de publier des livres qui racontent et étudient le sport d’une manière à la fois convaincante et rigoureuse, en refusant de considérer ce domaine si riche en histoires, intérêts et destins comme une province mineure de la scène culturelle et éditoriale, qui peut au mieux devenir pertinente avec des cas individuels tels qu’Open. J’aimerais citer de nombreux auteurs, notamment parce que la production de 66thand2nd a augmenté ces dernières années ; à contrecœur, je me bornerai à mentionner Lorenzo Iervolino, qui a récemment achevé une « trilogie politico-sportive », Emanuele Atturo, avec sa biographie réussie de Federer, Stefano Piri, avec un très bon livre sur Roberto Baggio (un grand personnage romanesque comme il y en a peu) et, enfin, un livre collectif sur le sport féminin, qui sortira en février, Fondamentali. Atlete che hanno cambiato il gioco.
Au fil des ans, la fiction italienne de nottetempo a accueilli de nombreuses voix originales telles que Milena Agus, Luciana Castellina et Lidia Ravera (toutes trois finalistes du prix Strega, Agus étant également finaliste du prix Campiello), Paolo Colagrande (finaliste du prix Campiello), Mirko Sabatino et Giulia Corsalini. Ces dernières années, la maison d’édition a exploré de nouveaux territoires avec des auteurs débutants : je ne citerai que le roman noir Il Mostro d’Alessandro Ceccherini, le « memoir » La paura ferisce come un coltello arrugginito de Giulia Scomazzon et le « roman des tarots » Chiedi se vive o se muore de Gaia Giovagnoli. nottetempo a également continué à publier, avec grand plaisir, des écrivains confirmés comme Claudio Morandini et Filippo Tuena (qui a participé à la finale du prix Campiello l’année dernière), tout en restant très attentif aux écrivaines actives dans la seconde moitié du XXe siècle, comme dans le cas de Fausta Cialente, l’une des auteures italiennes majeures, dont nous rééditons quatre livres.
nottetempo est également apprécié pour ses ouvrages de non-fiction, à commencer par les livres de Giorgio Agamben, probablement le philosophe italien le plus connu au monde, mais je rappelle également Daniele Giglioli, Luisa Muraro, Bifo Berardi et Giulia Siviero (cette dernière sera en librairie en mai avec un livre qui, je pense, suscitera un vaste débat, Fare femminismo). Il faut signaler aussi l’attention de nottetempo aux écrivains plus ouverts à l’expérimentation de nouvelles formes littéraires (par exemple avec Il dio che danza de Paolo Pecere) ainsi que son engagement à remettre en valeur des auteurs comme Furio Jesi, un éminent spécialiste de la mythologie et de la culture d’extrême droite. Enfin, grâce à Andrea Gessner, nous nous intéressons depuis plusieurs années à des questions que l’on peut définir au sens large comme « écologiques », et je pense ici à Dall’orto dal mondo de Barbara Bernardini.
Quels sont les paris, littéraires ou autres, qui ont le mieux fonctionné à l’étranger et, à votre avis, pourquoi ? Et qu’est-ce qui change, ou pourrait changer, avec la naissance du nouveau pôle horizontal ?
Pour 66thand2nd, l’œuvre de Ubah Cristina Ali Farah a suscité beaucoup d’intérêt à l’étranger, en particulier en France et aux États-Unis. Ont également été traduits le roman L’estate del cane bambino de Mario Pistacchio et Laura Toffanello et, dans le domaine de la littérature sportive, Suite 200 de Giorgio Terruzzi, dédié à Ayrton Senna, et Pantani era un dio de Marco Pastonesi.
Les auteurs italiens de nottetempo les plus traduits sont Milena Agus, appréciée notamment en France, et Giorgio Agamben, connu dans le monde entier principalement grâce aux versions anglaises de ses œuvres. Plusieurs autres auteurs ont été bien accueillis à l’étranger, je ne citerai que Ginevra Bompiani (l’une des fondatrices de la maison d’édition) et Daniele Giglioli avec Critica della vittima.
Tant nottetempo que 66thand2nd ont déjà conclu un certain nombre de contrats de traduction pour des ouvrages parus au cours de ces dernières années et ont des négociations en cours pour d’autres titres. Je ne peux cependant pas nommer les livres, dans le premier cas par souci de confidentialité, dans le second par superstition italienne.
J’espère que l’alliance entre 66thand2nd et nottetempo sera l’occasion susciter l’intérêt de la part des scouts, des agents et des éditeurs étrangers, grâce également au renforcement du secteur des « droits étrangers » sur lequel nous travaillons d’arrache-pied. Je parle avant tout de choses aussi triviales qu’essentielles : échantillons en anglais des œuvres proposées, fiches éditoriales complètes et actualisées avec les revues de presse et les prix les plus pertinents, etc. En mars, la Foire de Londres verra les débuts de cette alliance et sera aussi une sorte de répétition générale pour Francfort, où nous voulons arriver bien préparés, également pour honorer, avec les autres éditeurs italiens, la foire qui, cette année, a choisi l’Italie comme invitée d’honneur.