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28 avril 2020

Pietro Bembo en traduction

Auteur:
Ilaria Burattini, Università di Bologna

On pourrait imaginer une carte idéale sur laquelle suivre la diffusion des traductions des œuvres de Pietro Bembo : le début du parcours se situerait dans le Paris du XVIème siècle. C’est là, en effet, en 1545 que les Azolains de Monseigneur Bembo, de la nature d’Amour sont sortis des presses de Michel de Vascosan et de Gilles Corrozet. Cette version française fut l’œuvre de Jean Martin qui comptait alors parmi les plus célèbres traducteurs d’œuvres de langue italienne. Il traduisit, entre autres, l’Orlando Furioso de l’Ariosto et l’Arcadia de Sannazzaro. Cette entreprise typographique – qui connut trois rééditions successives – peut être considérée comme la première trace de la réception en Europe de l’un des protagonistes essentiels de la littérature italienne. L’œuvre de Bembo se diffusera depuis ce premier foyer. Symbole de la Renaissance et promoteur de la langue vulgaire, Pietro Bembo a imposé un modèle linguistique et stylistique qui, s’il se montre parfois un peu lourd, a été en mesure d’influencer la production littéraire transalpine. Il apparaît néanmoins nécessaire de réfléchir aux vecteurs culturels au travers desquels l’œuvre de Bembo s’est diffusée et sur son empreinte sur le territoire européen. Il est vrai que le « pèlerinage » des intellectuels italiens à l’étranger a favorisé la circulation de leurs œuvres. Dans la majeure partie des cas – hors du champ de la traduction – le monde des imprimeurs a collaboré au succès à grande échelle de certains aspects des écrits du cardinal en parfaite syntonie avec le marché éditorial et le goût du public auquel il s’adressait. Dès lors, il n’est pas surprenant que la figure du Bembo humaniste et poète lyrico-amoureux ait pris le pas sur le Bembo théoricien de la langue, capable de tenir la dragée haute à un Ariosto ou à un Pétrarque, auteurs unanimement loués par le public européen. Il est vrai que les œuvres du cardinal, et c’est une banalité de le dire, ont été le canal principal de la diffusion de l’œuvre de Pétrarque en Europe, réinterprétée au travers du prisme de la philosophie néoplatonicienne et de Marsile Ficin. D’autre part, l’expérience grammaticale des Prose – même si elle est à enracinée à ce point dans les controverses linguistiques et culturelles « italo-italiennes » –  proposait aux intellectuels qui souhaitaient donner à leur langue maternelle une norme grammaticale un exemple faisant autorité. Mais quel Bembo ou, plutôt comment lit-on Bembo aujourd’hui en Europe ? Il faudrait recourir à une autre carte géographique mise à jour pour notre époque et suivre la piste des diverses traductions parues jusqu’à nos jours. Le De Aetna – dialogue fruit d’un séjour de jeunesse à Messine – compte de nombreuses traductions, promues par un intérêt autant naturaliste que littéraire. En 2015, l’allemand Gerd von Gönna a publié le Der Ätna, faisant suite à une première traduction par Kosmas Ziegler en 1970 pour la maison d’édition Officina Bodoni. Un an auparavant, en 1969, l’édition bilingue (italien-anglais) de Betty Radice était publiée par la même maison. Elle a été rééditée par la suite avec une sélection de poèmes dans la collection The I Tatti Renaissance Library chez Harvard University Press. Les douze volumes de l’Historia Veneta ont été publiés en 2004 dans la même collection. Entre les années 1990 et 2000, les traductions françaises de Marie Viallon et polonaises d’Ireneusz Mikołajczyk sont parues. Le succès le plus spectaculaire concerne les trois livres des Ascolani. Rudolf B. Gottfried a inauguré la série des traductions anglaises dès 1954, œuvre à laquelle il faut associer le travail de Carol Kidwell en 2006. En Espagne, Josè Maria Reyes Cano a publié en 1990 Los Ascolanos et, deux ans plus tard, sont parues les Asolaner Gespräche, Dialoge über die Liebe, dans la traduction allemande de Michael Rumpf. Il en existe pour la France depuis 2006 la traduction de Marie-Françoise Piéjus, publiée dans la collection bilingue de la « Bibliothèque Italienne » dirigée par Yves Hersant et Nuccio Ordine. Parmi les traductions les plus récentes, on compte une édition bilingue polonaise commise en 2016 par Anamaria Gebăilă et une japonaise par Masumi Domi la même année. Dans la veine romantique, en raison de la fascination que la relation présumée entre Pietro Bembo et Lucrèce Borgia a provoquée chez le lecteur, il ne faut pas omettre les traductions de la partie de la correspondance qui concerne les deux amants, dont le petit recueil de 1987 par Hugh Shankland The Prettiest Love Letters in the World: The Letters Between Lucrezia Borgia and Pietro Bembo 1503-1519, élégamment illustré par Richard Shirley Smith. La correspondance « théorique » de Bembo – dans laquelle la lettre peut assumer la forme d’un traité autonome – a également fait l’objet d’un grand intérêt. C’est le cas du De imitatione, célèbre échange de lettres entre Pietro Bembo et Giovanni Pico della Mirandola sur l’imitation : on connaît une traduction en espagnol, Sobre la imitación, par Oriol Mirç Martì (2017) et en anglais par Izora Scott (1991). La correspondance du cardinal avec Érasme a été traduite en partie en néerlandais par J.C. Bedaux (2017). Quant aux Prose della volgar lingua, œuvres la plus célèbre de Pietro Bembo, elles ne sont disponibles que dans une traduction en espagnol de Oriol Mirç Martì (Prosas de la lengua vulgar, 2011). On en annonce une traduction française imminente par Florence Bistagne. 

 

Il s’agit, comme on l’a vu, d’initiatives éditoriales qui ne sont pas toutes destinées à un public d’experts de la matière. Le paratexte, la mise en page, les apparats de notes ou de commentaires, tout comme le soin apporté à la présentation du livre sont autant de moyens pour rendre l’œuvre de Bembo accessible à un public de langue étrangère. Et c’est grâce à cela qu’un texte faisant partie du canon littéraire de la Renaissance a trouvé sa place auprès des chefs d’œuvre de la littérature italienne qu’il s’agisse, pour les plus anciens, de Dante, Pétrarque, Boccace jusqu’au plus récents, comme Calvino ou Buzzati – pour ne faire que quelques exemples – dans un cadre européen et mondial.

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