Goffredo Parise en traduction
Auteur: Giulia Pellizzato, Brown University / Università della Svizzera italiana
Goffredo Parise (Vicence, 1929 – Trévise, 1986) a manqué de peu le succès éditorial international dès son premier roman Il ragazzo morto e le comete (Le jeune homme mort et les comètes) (Neri Pozza, 1951). Ses droits ont été acquis pour la traduction aux États Unis et il a été pris en considération par des éditeurs et des agents littéraires en France, en Angleterre, en Allemagne et en Suède. Si la première édition US ne rencontre pas un succès public immédiat, le réseau de rapports qui s’est établi pour l’occasion est de bon augure pour d’éventuelles traductions si d’aventure l’auteur proposait un roman plus accessible au lecteur américain moyen.
En 1954, Il prete bello (Le beau prêtre) (Garzanti) connut en Italie un succès public éclatant, en partie grâce aux réactions indignées des milieux catholiques et conservateurs. Les cinq premières réimpressions sont épuisées au rythme d’une par mois pendant que l’on en prépare des traductions anglaises, espagnoles, allemandes (1955), suédoises, néerlandaises et françaises (1956).
Le livre sort dans les principales langues occidentales auprès d’éditeurs prestigieux, pour ne pas dire légendaires, traduit par des traducteurs de première force : Michel Arnaud chez Gallimard en France, Stuart Hood chez Knopf aux États Unis, Eva Alexanderson chez Bonnier en Suède. La décennie suivante, de nouvelles traductions apparaissent (en finlandais, en serbe, en hongrois, en japonais, en slovène) alors que le succès de la version anglaise est confirmé la production de deux éditions de poche dont une « pirate ».
Ses romans suivants, Il fidanzamento (Les fiançailles) (Garzanti, 1956) et Amore e fervore (Amour et ferveur) (Garzanti, 1959) sont assez mal accueillis par la critique italienne alors qu’ils sont traduits et appréciés en France, en Allemagne, et en Hongrie. Ils sont même réédités dans les années suivantes.
À la sortie de Il padrone (Le patron) (Feltrinelli, 1965), couronné par le prix Viareggio, Parise est désormais une voix qui compte dans la culture italienne. Le livre suscite un intense débat. Il transcende le genre de la littérature « industrielle » servi par une narration puissante, satirico-tragique, hors des schémas politiques ou idéologiques. Présenté par l’auteur comme « une métaphore sur le pouvoir », une histoire « de la lutte biologique entre le puissant et le moins puissant », ce roman jouit d’un réel intérêt des deux côtés du rideau de fer avec des éditions immédiates en Espagne (Noguer, trad. José María Valverde), en France (Stock, tr. Claude Antoine Ciccione), aux États Unis et au Royaume-Uni (Knopf & Cape, trad. William Weaver), en Allemagne (Kiepenheuer & Witsch, trad. Astrid Gehlhoff-Claes), en Russie (chez «Inostrannaja literatura», trad. Julia Dobrovolskaja), aux Pays-Bas (Meulenhoff, trad. J.H. Klinkert-Pötters Vos), en Hongrie, Tchécoslovaquie, Suède, Lettonie et Pologne.
Ce récit, à la première personne, d’un homme qui consent à devenir un objet, une propriété malléable dans les mains de son propre chef, au point de renoncer à choisir quoi désirer, où vivre, comment passer son propre temps, voire même qui épouser et avoir ou non des enfants, trouve un public particulièrement sensible dans les pays marqués de manière récente par le totalitarisme. L’Espagne franquiste et post franquiste, l’Allemagne d’avant la chute du mur, la Hongrie de Kádár, où l’armée rouge a brisé la révolution, en publient des traductions très souvent rééditées.
La réflexion de Parise se poursuit à travers ses œuvres littéraires – Gli Americani a Vicenza (Scheiwiller, 1966), L’assoluto naturale (Feltrinelli, 1967) et Il crematorio di Vienna Feltrinelli, 1969) – et dans ses reportages dans les zones de friction entre bloc occidental et bloc oriental : Vietnam, Biafra, Laos, Yougoslavie. Les uns comme les autres sont traduits avec une attention croissante en Hongrie, en Roumanie et en Russie, où les textes de Parise paraissent au fur et à mesure dans des volumes et des revues alors que l’on y procède à l’édition de ses livres précédents (Il ragazzo morto e le comete, Il prete bello). L’écrivain italien y est interviewé à plusieurs reprises.
L’extraordinaire production du « Parise reporter », en revanche, n’a pas eu le succès escompté dans le monde occidental. On y édite, toutefois, ses œuvres littéraires en France, Allemagne, Pays-Bas, Danemark, Finlande et Suède.
Sillabario 1 (Einaudi, 1972) et Sillabario 2 (Mondadori, 1982, prix Strega), textes de Parise les plus célèbres en Italie, se diffusent lentement et selon des voies tortueuses. La première traduction qui sort en Roumanie est un curieux mélange de Sillabario 1 avec le tout premier roman de Parise, Il ragazzo morto e le comete (Editura Univers, tr. Smaranda Bratu Stati). D’autres traductions paraissent en allemand (tr. Christiane von Bechtolsheim et Dirk Jürgen Blask), en russe (tr. Elena Yuryevna Saprykina), en anglais (dans l’ordre inverse, d’abord le second volume, puis le premier ; tr. Isabel Quigly), en français (tr. Alix Tardieu), en catalan (tr. Enric Prat) et en castillan (tr. Carlos Gumpert).
En publiant le premier volume de la série des Sillabari, Parise déclarait avoir pour objectif « d’écrire des choses que le lecteur voudrait avoir écrites lui-même ; d’écrire des choses qui touchent les sentiments des hommes, mais sans sentimentalisme ; de regarder attentivement les choses de la vie et les détails de ces choses, les aspects physiques des personnes, de manière à en découvrir si c’est possible (avec beaucoup de amour et de tendresse, sans sévérité) les caractères et les sentiments » (Altarocca, 1972, 10-11). Une opération aussi délicate, d’un point de vue littéraire et culturel, pourrait par définition se révéler intraduisible dans une autre langue et dans un autre système culturel. Même si les Sillabari font partie du « canon » de la littérature internationale du XXème siècle – en raison de leur présence dans deux nombreuses anthologies, dont celle dirigée par Jhumpa Lahiri chez Penguin Classics en 2019 -, ils demeurent une sorte d’OLNI (objet littéraire non identifié) pour les lecteurs d’une grande partie du monde.
Au cours de ces dernières années, les textes de Paris ont été publiés dans des recueils en Europe, en Asie et en Amérique. Il prete bello et Il padrone ont été consacrées comme ses œuvres les plus connues à l’étranger. Leurs traductions ont été de nombreuse fois rééditées (aussi sous les formats ebook ou du livre audio) et de nouvelles traductions sont parues en portugais, en croate, en tchèque, en grec moderne et en géorgien. Grâce à la récente publication de la traduction française des Poesie (« Cahiers de l’Hôtel de Galliffet, trad. Marie-José Tramuta), les principales œuvres de Parisi, comme les plus modestes, sont désormais disponibles pour le lecteur francophone.