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14 mars 2024

Entretien avec Piero Salabè, responsable de la fiction étrangère aux éditions Hanser

Auteur:
Maddalena Fingerle

Piero Salabè (1970) est traducteur, éditeur et auteur. Il a étudié à Venise, Londres, Rome et Munich. Depuis 2008, après avoir travaillé pour les maisons d’édition Antje Kunstmann Verlag et Hueber Verlag, il est responsable de la fiction étrangère aux éditions Hanser.

 

 

Quand et comment avez-vous commencé à travailler dans l’édition ?

 

J’ai commencé à travailler dans l’édition en 1996, en effectuant un stage dans une maison d’édition littéraire. Ensuite, après un doctorat et d’autres expériences dans l’édition, j’ai commencé à rédiger des fiches de lecture pour Hanser Verlag. Il s’agissait d’examiner la valeur littéraire des œuvres : qu’est-ce que l’auteur a voulu faire, comment est-il parvenu à ses fins, est-ce que cela pouvait intéresser le public allemand ? Mes dossiers étaient très élaborés et plutôt critiques, je pense que c’est pour cela que j’ai obtenu le poste.

 

 

À quoi ressemble votre journée type ?

 

On commence par lire, on finit par lire. Il faut trouver un créneau pour la lecture, sinon, avec toute la correspondance et les réunions, on finit par ne plus pouvoir saisir clairement les qualités d’un texte. Il est plus facile de reconnaître les qualités manquantes : un texte dont la langue n’est pas convaincante, qui propose des clichés, demande moins de temps d’évaluation qu’un texte dont l’élaboration littéraire est appréciée, même si l’on ne décide pas ensuite de le traduire. La journée de travail commence à neuf heures, souvent en lisant des textes pour prendre une décision lors de réunions éditoriales, deux par semaine. Il arrive que l’on emporte les textes à la maison, pour les lire le soir à un rythme plus tranquille. La découverte d’un livre de valeur est une émotion, car les cas sont rares. De Claudia Durastanti, par exemple, j’avais lu Cleopatra va in prigione, que j’avais beaucoup aimé, mais c’est avec La straniera que j’ai pensé que c’était le bon livre pour ses débuts en Allemagne. Avant de prendre toute décision, on fait part de ses impressions à des lecteurs extérieurs.

 

 

Votre vision de la littérature a-t-elle changé au fil des ans ? Si oui, de quelle manière ?

 

Elle n’a pas changé. Les modes changent, mais pas le jugement esthétique. Un bon texte est un bon texte est un bon texte… pour paraphraser Gertrude Stein. La bonne littérature, qui est la capacité à raconter des histoires, à rendre compte de la vie par la fiction, n’a pas changé depuis l’aube de l’humanité, depuis l’époque de Gilgamesh. Je suis convaincu que les bons livres restent, les mauvais disparaissent. Il faut être critique et constructif. Si on n’est pas exigeant, on risque d’encourager la médiocrité ambiante.

 

 

Lisez-vous aussi pour le plaisir ?

 

Oui, surtout. Bien sûr, la lecture professionnelle n’est pas toujours agréable. Le fait est qu’il faut parfois beaucoup de temps pour confirmer ce que l’on avait deviné dès le départ. C’est un peu comme lorsqu’on assiste à un film qu’on n’aime pas : on reste dans la salle par respect pour ceux qui sont venus avec nous pour le voir, mais en réalité on se sent un peu séquestré.

 

 

Quels sont les auteurs qui vous ont marqué ?

 

Tous les classiques de la littérature de tous les temps. En ce qui concerne le XXe siècle, chaque littérature a de grands noms, parfois moins fréquentés. Je pense au Mexicain Rulfo, à l’Estonien Jaan Kross, au Serbo-croate Ivo Andric. Ce sont des modèles d’écriture intemporels. Il suffit d’ouvrir une page pour sentir le travail derrière chaque phrase. Je ne parle pas d’effort, mais de travail, de cette simplicité et de cette essentialité qui manquent aux écrivains prétentieux ou naïfs. C’est comme pour les acteurs : le naturel est le résultat d’un travail acharné. Chaque véritable écrivain a son propre langage : dans le cas de Rulfo, la concision semble inégalée et doit faire réfléchir au fait que la plupart des livres pourraient être plus courts. Ce qui est fascinant chez Jan Kroos ou Andric lui-même, c’est la capacité de refléter l’histoire du monde dans les histoires des individus. C’est une ambition que nourrissent tant d’écrivains, mais que peu d’entre eux réalisent. Enfin, une écrivaine comme Marguerite Duras a un style d’écriture très marqué qui en a inspiré plus d’un. Il n’y a pas de bon écrivain qui ne reconnaisse pas sa dette envers d’autres écrivains.

 

 

Et celles ou ceux que vous êtes le plus heureux d’avoir publiés ? Pourquoi ?

 

Je ne peux pas exprimer de préférence. J’éprouve un grand plaisir à découvrir un auteur, un auteur de valeur, et à rendre son travail public, à soutenir sa créativité par le biais de notre publication.

 

 

Quelles caractéristiques doit avoir un livre pour vous convaincre ?

 

S’agit-il de prose, de poésie, de non-fiction ? Chaque genre a ses propres règles. Toutefois, le soin apporté à la langue est un signe évident de talent, et cela vaut également pour les ouvrages non romanesques. En revanche, il est rare que la négligence linguistique soit associée à un ouvrage de grande valeur. Un livre qui naît d’une urgence et qui trouve un langage approprié pour l’exprimer réunit les conditions nécessaires pour convaincre le lecteur.

 

 

Y a-t-il des livres que vous avez achetés et qui ne vous ont pas convaincu ?

 

Le processus d’édition révèle des faiblesses dans certains textes qui n’ont pas été découvertes lors de la première lecture. Il peut donc arriver qu’un texte, une fois révisé, perde de sa saveur. Il y a aussi des livres qui ne sont peut-être pas très brillants, mais qui doivent être publiés pour soutenir l’auteur dans son parcours créatif.

 

 

Existe-t-il un thème qui fonctionne dans le monde germanophone mais pas dans le monde italophone, et vice versa ?

 

C’est une question un peu difficile. Ce ne sont pas tant les thèmes, car ils peuvent être universels (la mort, l’amour, etc.), que la perspective. Les Allemands et les Italiens sont tous deux américanophiles et recherchent donc des histoires issues de cette culture. En revanche, il y a malheureusement beaucoup moins d’intérêt pour les livres provenant de régions encore plus proches, les pays arabes, mais aussi l’Europe de l’Est, ou des pays plus marginaux comme le Portugal. Il suffit de regarder les statistiques de traduction : près de 80 % proviennent de l’anglais, le chinois, deuxième langue la plus parlée au monde, ne représentant que quelques dizaines de livres. Par exemple, Pão de Açucar d’Afonso Reis Cabral, qui a reçu le prix Saramago, n’a pas été traduit en italien, tandis que les livres d’un auteur comme le Libanais Amin Maloouf se trouvent davantage en Italie qu’en Allemagne.

 

Y a-t-il un livre que vous auriez aimé publier mais qui l’a été par une autre maison d’édition ?

 

Il y a beaucoup de livres. Patria de Fernando Aramburu, par exemple, ou Matin et soir de Jan Fosse. Chaque fois que je vois une maison d’édition publier un livre de valeur, je suis envieux.

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