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10 janvier 2023

Entretien avec Audrey Scarbel responsable du domaine italien aux éditions Grasset

Auteur:
Federica Malinverno (Actualitté)

Nous avons rencontré Audrey Scarbel, responsable du domaine italien aux éditions Grasset, pour découvrir sa vision de la littérature italienne ainsi que les choix éditoriaux qui guident la publication des auteurs transalpins au sein de la maison. En 1982, cette même maison a publié Le nom de la rose de Umberto Eco. Quarante ans plus tard, l’ouvrage est republié dans une édition augmentée avec un habillage graphique renouvelé.

 

Il y a vingt ou trente ans, la littérature italienne était mieux représentée en nombre de titres dans votre maison d’édition. À partir de 2016 environ, il semble que Grasset ait publié moins de textes italiens. Pourquoi? Est-ce le signe d’une baisse d’intérêt envers cette littérature

En 2016, l’ensemble de l’équipe de littérature étrangère chez Grasset a changé. À ce moment-là, il n’y avait que les droits du livre de Niccolò AmmanitiAnna, qui avait été acheté auparavant. Or entre le moment de l’achat des droits et la publication du livre, il se passe souvent deux ans, d’où ce petit décalage initial. 

Mais l’année dernière nous avons publié le roman de Sandro VeronesiLe Colibri, récompensé en France par le Prix France Inter/Le Point, et la passionnante enquête d’Antonio Talia sur la  ’ndrangheta (Statale 106, minimum fax, 2019). Cette année nous avons publié, notamment, Cité engloutie (Città sommersa, Bompiani, 2020) le superbe premier roman de Marta Barone, traduit par Nathalie Bauer, et le 16 novembre est sorti, pour les quarante ans du Nom de la Rose, une nouvelle édition du best-seller d’Umberto Eco, augmentée des dessins et des notes préparatoires de l’auteur.

En avril, l’année prochaine, nous publierons le roman de Teresa CiabattiOn aurait dit la beauté (Sembrava bellezza, Mondadori, 2021) un texte d’une puissance magnétique qui a été un événement en Italie, et il y a encore d’autres choses en préparation. Il s’agit donc d’un processus de reconstruction, non pas d’un manque d’intérêt. Au contraire, la littérature italienne représente un des domaines forts de la littérature étrangère chez Grasset, la maison l’a toujours défendue et lui a laissé une vraie place au sein du catalogue. C’est d’ailleurs une littérature qui intéresse les lecteurs. Cette baisse des publications est donc conjoncturelle, plutôt que le résultat d’une politique éditoriale. 

 

Quel type de littérature italienne publiez-vous chez Grasset? Quels sont les critères qui orientent vos choix?

C’est toujours un peu difficile de répondre à cette question car chez Grasset, avec Joachim Schnerf (directeur de la collection de littérature étrangère), ce sont vraiment les coups de cœur qui guident nos choix. Nous ne recherchons pas de thématiques spécifiques. En revanche nous sommes particulièrement attentifs à mettre en avant de nouvelles voix, à construire une sorte d’équilibre entre les grands noms de la littérature mondiale et des voix plus jeunes, et aussi entre des voix masculines et féminines. Nous essayons d’apporter plus de jeunesse et de féminité au catalogue. En fin de compte ce qui sera déterminant dans la politique éditoriale, ce sont vraiment les textes eux-mêmes. Il y a aussi un critère d’originalité. Nous cherchons des textes que nous avons l’impression de ne jamais avoir lus, qui se distinguent par leur qualité littéraire, mais qui doivent quand même trouver leurs lecteurs, car nous sommes conscients des enjeux économiques du marché de la littérature étrangère. Il s’agit de trouver un équilibre un peu fragile entre une grande exigence littéraire d’une part et de l’autre, une littérature qui puisse trouver un lectorat. 

Nous essayons aussi d’équilibrer dans notre programme annuel le nombre de parutions par domaines linguistiques. Nous publions ainsi deux à trois livres italiens par an, sur un total de quinze à vingt titres de littérature étrangère. 

 

Vous publiez plusieurs romans qui ont gagné le prix Strega : ce prix est-il un critère de sélection pour vous?

Je suis avec intérêt l’actualité des prix, mais comme nous recevons les textes par les agents et les éditeurs, notre prise de décision sur l’achat des droits français d’un livre se fait souvent plutôt au moment de la publication italienne, ou juste avant. Par conséquent, au moment de l’attribution du prix Strega, j’ai souvent déjà fait mes choix sur les titres — ceux dont je souhaite acquérir les droits et ceux que nous refusons. Je suis très attentive aussi au prix Campiello et à d’autres prix que je trouve intéressants. Les résultats du Strega en 2020 et en 2022 étaient en quelque sorte de bonnes surprises, puisqu’ont été récompensés des livres dont nous avions acquis les droits français (Le colibri de Sandro Veronesi et Mario DesiatiSpatriati, publié par Einaudi et gagnant du Prix Strega en 2022, NdR) auparavant. 

 

Pensez-vous qu’il y a quelque chose de spécifique à la littérature italienne, qui pourrait attirer les lecteurs français par exemple

L’Italie est un grand pays de littérature, qui a une vraie tradition romanesque, avec des monuments littéraires qui ont nécessairement une influence sur ce qui s’écrit aujourd’hui en Italie; il y a donc peut-être une particularité dans la littérature italienne, comme il peut y en avoir dans d’autres pays, en France, en Espagne, en Angleterre… J’ai cependant l’impression qu’aujourd’hui les auteurs européens se lisent entre eux peut-être encore plus qu’auparavant, et depuis des années déjà, donc cette spécificité nationale est un peu moins marquée, car les influences sont diverses.  Ce n’est en tout cas pas une chose que nous allons forcément rechercher, même s’il est vrai que les titres de littérature italienne qui ont été de beaux succès ces dernières années avaient un vrai ancrage local. Je pense à Elena Ferrante bien sûr, ou encore à Borgo Vecchio de Giosuè Calaciura (Les Éditions noir sur blanc, 2019, traduit par Lise Chapuis et publié en 2017 chez Sellerio), un roman très ancré dans une réalité sicilienne : j’ai l’impression que les lecteurs apprécient cela. 

 

Croyez-vous qu’il y a eu une vague de publications de littérature italienne en France après la parution de Elena Ferrante

Je pense que les éditeurs ont vu qu’il y avait un intérêt des lecteurs pour cette littérature. Et il y a pu y avoir un engouement après le succès de la tétralogie.  Par ailleurs j’ai l’impression qu’un effet cyclique existe : plusieurs voix intéressantes émergent au cours de quelques années et ensuite, pendant un moment, il y en a un peu moins; cela arrive en France, en Italie, un peu partout… D’après moi, par exemple, à la fin des années 2010 que vous évoquiez tout à l’heure, de nombreuses publications italiennes intéressantes, même parmi la jeune génération, étaient produites par des auteurs déjà publiés par d’autres éditeurs en France, comme Paolo Cognetti, Nadia Terranova, ou encore Marco Missiroli, pour ne citer qu’eux. En revanche, ces dernières années, il y a eu davantage d’excellents livres italiens d’auteurs qui n’avaient encore jamais été traduits en France, comme ceux de Marta Barone, Claudia Durastanti ou Mario Desiati — car le rythme des achats dépend aussi des rythmes éditoriaux.

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